Culte de l'Être suprême
Le culte de l'Être suprême des montagnards déistes (printemps – été 1794) est, en France, un ensemble d'événements et de fêtes civiques et religieuses. Le théophilanthropisme est une émanation du culte de l'Être suprême apparu en 1796 (26 nivôse an V) et interdit en 1803.
Il est explicitement fait référence à l'Être suprême dans le préambule de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui est un pilier du système juridique, politique et social français :
- « L'Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les droits suivants de l'Homme et du Citoyen ».
Sommaire
1 Contexte
2 Origines philosophiques
3 Origines politiques
4 La fête de l'Être suprême
4.1 Déroulement de la fête à Paris
5 Postérité
6 Notes et références
7 Bibliographie
7.1 Études historiques
7.2 Littérature
8 Voir aussi
8.1 Articles connexes
8.2 Liens externes
Contexte |
Ce culte s'est propagé dans le climat d'insécurité qui était celui de la menace d'agression extérieure, en particulier celui de l'invasion par les troupes prussiennes à la suite du manifeste de Brunswick du 15 juillet 1792.
Ce culte fut un des éléments de la déchristianisation qui a accompagné la Révolution française. Il trouvait sa justification dans une certaine forme de résistance civique, la recherche de la défense des « acquis » de la Révolution française, notamment la liberté. Il connut son apogée pendant la Terreur.
Ce culte se voulait une expression des idéaux des Lumières : liberté (d'expression, de pensée, etc.), égalité. Une nouvelle Déclaration des droits de l'homme et du citoyen fut mise en place en 1793, par rapport à celle de 1789 ; les lieux de culte furent fermés à partir de mai 1793.
Origines philosophiques |
Philosophiquement, le culte de l'Être suprême correspond à une religion naturelle, concept né à l’ère des Lumières.
Le culte de l'Être suprême procède du déisme de Voltaire et de Rousseau[1], dont s'inspirait Robespierre.
Selon l'abbé de La Chambre, cité par l'abbé Mallet dans l’article « déistes » de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, il existe deux sortes de déistes :
- ceux d'origine unitarienne (il semble qu'Isaac Newton en soit à l'origine, mais il n'est pas cité) ;
- ceux qui s'inscrivent dans la tradition de Malebranche et de Leibniz.
Voir : Deux conceptions de l'Être suprême et du déisme au XVIIIe siècle.
Origines politiques |
On peut rapprocher ce culte d'un jacobinisme radical. Hannah Arendt, dans le chapitre V de son Essai sur la révolution, rapproche ce culte d'une recherche d'un absolu légitimant la Loi. Elle le nomme « Grand Législateur Universel ». En effet, à la suite de l'échec de l'instauration d'une constitution remplissant le même rôle que la Constitution américaine, il fallait trouver un absolu qui soit une « sanction transcendante dans le domaine politique ». Il s'agit donc pour elle d'un héritage de l'absolutisme français.
Un décret du 18 floréal an II (7 mai 1794), adopté par la Convention montagnarde sur un rapport de Robespierre (Comité de salut public), instituait un calendrier de fêtes républicaines marquant les valeurs dont se réclamait la République et se substituant aux fêtes catholiques : à l’Être suprême et à la nature ; au genre humain ; au peuple français ; aux bienfaiteurs de l’humanité ; aux martyrs de la liberté ; à la liberté et à l’égalité ; à la République ; à la liberté du monde ; à l’amour de la patrie ; à la haine des tyrans et des traîtres ; à la vérité ; à la justice ; à la pudeur ; à la gloire et à l’immortalité ; à l’amitié ; à la frugalité ; au courage ; à la bonne foi ; à l’héroïsme ; au désintéressement ; au stoïcisme ; à l’amour ; à la foi conjugale ; à l’amour paternel ; à la tendresse maternelle ; à la piété filiale ; à l’enfance ; à la jeunesse ; à l’âge viril ; à la vieillesse ; au malheur ; à l’agriculture ; à l’industrie ; à nos aïeux ; à la postérité ; au bonheur. En outre, elle établissait le culte à l'Être suprême, qui se juxtaposait au culte de la Raison.
Robespierre, déiste, avait vivement attaqué les tendances athées et la politique de déchristianisation des ultra-révolutionnaires (hébertistes), qui avaient institué le culte de la Raison fin 1793.
Il leur opposa une religion naturelle — reconnaissance de l'existence de l'Être suprême et de l'immortalité de l'âme[2] — et un culte rationnel (institution des fêtes consacrées aux vertus civiques) dont le but était, selon lui, « de développer le civisme et la morale républicaine ».
Le « culte de l'Être suprême » était une cérémonie déiste, influencé par la pensée des philosophes des Lumières, et consistait en une « religion » qui n’interagissait pas avec le monde et n’intervenait pas dans la destinée des hommes. Il ne s'agissait pas d'un culte, au sens fort du terme, mais plutôt une sorte de religion civile à la Rousseau[3].
Le culte de l'Être suprême se traduisait par une série de fêtes civiques, destinées à réunir périodiquement les citoyens et à « refonder » la Cité autour de l’idée divine, mais surtout à promouvoir des valeurs sociales et abstraites comme l’Amitié, la Fraternité, le Genre humain, l’Enfance, la Jeunesse ou le Bonheur. La fraternité et le genre humain n'avaient sur un point au moins rien d'abstrait : l'abolition de l'esclavage des Noirs en février 1794 par la Convention et qui se traduisit dans les semaines et les mois qui suivirent (jusqu'en thermidor an II) par l'envoi d'adresses de félicitations, d'annonce de fêtes civiques et l'arrestation de colons blancs, intriguant contre le décret émancipateur. À Paris, ce fut le cas si l'on en croit le témoignage, la plainte, le 20 prairial an II d'un colon esclavagiste de Saint-Domingue emprisonné à la prison de la Santé, Thomas Millet, contre le député de Saint-Domingue, Dufay, qui contribua au vote de la loi du 16 pluviôse an II.
La fête de l'Être suprême |
La fête de l'Être suprême, célébrée le 20 prairial an II (8 juin 1794), est, pour quelques heures, la manifestation de cette unanimité mystique, morale et civique que Maximilien de Robespierre envisage pour l'avenir comme condition de la paix et du bonheur. La fête de l'Être suprême connut un grand succès à travers la France et fut celle dont on a conservé des traces visibles le plus longtemps. Les régions les plus concernées ont été le bassin parisien, la Normandie, le Nord, la région lyonnaise, le Languedoc, la Provence, l'Aquitaine et la Bourgogne. Les régions les moins concernées furent le Haut-Rhin, et l'Ouest, dans une certaine mesure. Les fêtes civiques sont restées concentrées dans le bassin parisien et en Normandie, en région lyonnaise et dans le couloir rhodanien. Il y en eut une à Brest, organisée par le représentant en mission Prieur de la Marne, membre du Comité de salut public et montagnard robespierriste. Le numéro du Journal de la Montagne du 22 messidor an II – 10 juillet 1794 reproduit le discours de Prieur, prononcé à cette occasion. le député y intègre la liberté des Noirs, confirmant le témoignage de Thomas Millet relatif à Paris indiqué ci-devant.
Deux jours plus tard, le 10 juin 1794, la loi de Prairial accentue la Terreur et ouvre la période dite de « Grande Terreur », qui durera jusqu'à la chute de Robespierre le 27 juillet 1794 (9 thermidor).
Déroulement de la fête à Paris |
Ce jour-là, les participants se rassemblent autour du bassin rond à l'extrémité est du jardin des Tuileries[4]. Sur ce bassin, une pyramide représente un monstre, l'Athéisme entouré de l'Ambition, l'Égoïsme et la fausse Simplicité[4].
Robespierre a revêtu un habit bleu céleste serré d'une écharpe tricolore. Il tient un bouquet de fleurs et d'épis à la main. La foule immense, venue communier aussi à ce grand spectacle, est ordonnancée par Jacques-Louis David. Robespierre met le feu à cet ensemble qui démasque une fois brûlé une statue de la Sagesse[4].
Puis Robespierre précède les députés de la Convention, dont il est le président dans un cortège jusqu'au Champ-de-Mars. L'hymne à l'Être suprême, écrit par le poète révolutionnaire Théodore Desorgues, est chanté par la foule sur une musique de Gossec[5]. Participe à la fête Marcellin le célèbre chanteur des rues de Paris.
Dans la troupe des députés de la Convention, pendant la cérémonie, on se moque, on bavarde, on refuse de marcher au pas. Malgré l'impression profonde produite par cette fête, le culte de l'Être suprême fut loin de créer l'unité morale entre les révolutionnaires et devait même susciter, peu après son instauration, une crise politique au sein du gouvernement révolutionnaire.
Postérité |
Selon Raquel Capurro, le « culte » du Grand-Être développé par Auguste Comte et sa religion de l'humanité, dans la phase dite religieuse du positivisme, est un héritage du culte de la Raison et du culte de l'Être suprême[6].
Notes et références |
Encyclopédie de l'Agora, « La religion de Rousseau ».
Michel Vovelle, Serge Bonin, 1793 : la révolution contre l'Église : de la raison à l'être suprême, éd. Complexe, 1988, p. 45, 274.
Hervé Leuwers, Robespierre, Fayard, 2014, p. 332-336.
J. Hillairet, Connaissance du Vieux Paris Tome 1, 75006 PARIS, Éditions Princesse, 1956, 377 p. (ISBN 2-85961-019-7), p. 181.
Paroles et musique de cet hymne [1].
Raquel Capurro, Le positivisme est un culte des morts : Auguste Comte, Epel, 2001.
Bibliographie |
Études historiques |
Alphonse Aulard, Le culte de la raison et le culte de l'être suprême (1793-1794) : essai historique, Paris, Félix Alcan, coll. « Bibliothèque d'histoire contemporaine », 1892, VIII-371 p. (présentation en ligne, lire en ligne).
Simone Bernard-Griffiths, « Autour de La Révolution (1865) d'Edgar Quinet. Les enjeux du débat Religion-Révolution dans l'historiographie d'un républicain désenchanté », Archives de sciences sociales des religions, nos 66-1, juillet-septembre 1988, p. 53-64 (JSTOR 30114701).
Jacques Bernet, « La déchristianisation dans le district de Compiègne (1789-1795) », Annales historiques de la Révolution française, no 248, avril-juin 1982, p. 299-305 (JSTOR 41913619).
Jacques Bernet, « Les origines de la déchristianisation dans le district de Compiègne (septembre-décembre 1793) », Annales historiques de la Révolution française, no 233 « La déchristianisation de l'an II », juillet-septembre 1978, p. 405-432 (JSTOR 41915975).
Serge Bianchi, « La déchristianisation de l'an II : essai d'interprétation », Annales historiques de la Révolution française, no 233 « La déchristianisation de l'an II », juillet-septembre 1978, p. 341-371 (JSTOR 41915973).
Nicole Bossut, « Aux origines de la déchristianisation dans la Nièvre : Fouché, Chaumette ou les jacobins nivernais ? », Annales historiques de la Révolution française, no 264, avril-juin 1986, p. 181-202 (lire en ligne).
Edmond Campagnac, « Les débuts de la déchristianisation dans le Cher, septembre 1793-frimaire an II », Annales révolutionnaires, t. 4, no 5, octobre-décembre 1911, p. 626-637 (JSTOR 41920425).
Edmond Campagnac, « Les débuts de la déchristianisation dans le Cher, septembre 1793-frimaire an II (suite et fin) », Annales révolutionnaires, t. 5, no 4, juillet-septembre 1912, p. 511-520 (JSTOR 41920541).
Gérard Cholvy, « Religion et Révolution : la déchristianisation de l'an II », Annales historiques de la Révolution française, no 233 « La déchristianisation de l'an II », juillet-septembre 1978, p. 451-464 (JSTOR 41915977).
(en) Richard Clay, « Violating the Sacred : Theft and "Iconoclasm" in Late Eighteenth-Century Paris », Oxford Art Journal, Oxford University Press, vol. 26, no 2, 2003, p. 3-22 (JSTOR 3600388).
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Michel Vovelle, « La déchristianisation de l'an II : sur le compte rendu de Gérard Cholvy », Annales historiques de la Révolution française, no 233 « La déchristianisation de l'an II », juillet-septembre 1978, p. 465-470 (JSTOR 41915978).
Michel Vovelle, 1793 : la Révolution contre l'Église : de la Raison à l'Être suprême, Bruxelles, Complexe, coll. « La Mémoire des siècles » (no 208), 1988, 311 p. (ISBN 2-87027-254-5, présentation en ligne).
John Whitworth, « L'envoi d'adresses à la Convention en réponse au décret du 18 floréal : une étude des archives parlementaires », Annales historiques de la Révolution française, no 298, octobre-décembre 1994, p. 651-669 (lire en ligne).
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Littérature |
Philippe Sollers, Sade contre l'Être suprême, éd. Gallimard, 1991.
Voir aussi |
Articles connexes |
- Théophilanthropie
- Déchristianisation (Révolution française)
- Jacques-René Hébert
- Culte de la Raison
- Temple de la Raison
- Constitution civile du clergé
Déisme | Positivisme
Culte | Être
Liens externes |
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Liste d'église ayant gardé la trace de ce culte sur leur façade.
Hymne à l'Être suprême, 1794.
Fête de l'Être suprême présidée par Maximilien de Robespierre 8 juin 1794, place de la Concorde (reconstitution film).
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