Dionysos
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Dans la mythologie grecque, Dionysos (en grec ancien Διώνυσος / Diốnusos ou Διόνυσος / Diónusos) est le dieu de la vigne, du vin et de ses excès, de la folie et la démesure. Il est une figure majeure de la religion grecque, et un dieu de première importance au sein de l'orphisme : les Hymnes orphiques comportent de très nombreuses prières en son honneur et s'organisent pour donner « une image de l'ordre du monde naturel et moral [qui] montre que, dans cet ordre, Dionysos joue un rôle particulier » [1].
Ancien Feu divin comme l'attestent de nombreux éléments de sa légende et de son culte, il est le fils de Zeus et de la mortelle Sémélé ou, selon l'orphisme, de Déméter ou de Perséphone. Réparties entre l'automne et le printemps, ses festivités sont liées au cycle annuel et notamment au retour du printemps. Dieu de la fureur et de la subversion, son culte est également marqué par les fêtes orgiaques féminines célébrées par ses accompagnatrices, les ménades. Ses festivités ont été la force motrice du développement du théâtre et de la tragédie.
Il a été adopté par la Rome antique sous le nom de Bacchus (du grec ancien Βάκχος / Bákkhos, un de ses autres noms[2]) et assimilé au dieu italique Liber Pater.
Sommaire
1 Étymologie
2 Le mythe
2.1 Naissance
2.2 Jeunesse et exploits
2.3 Ses amours
2.4 Dionysos, héros qui meurt et renaît
2.5 Apparences
3 Mythes semblables
4 Origine
5 Fonctions
6 La liturgie et les cultes
7 Iconographie
8 Attributs et épiclèses
8.1 Épiclèses
8.2 Épithètes
8.3 Attributs
8.3.1 Plantes principales
8.3.2 Autres
9 Notes et références
10 Bibliographie
10.1 Textes
10.2 Études
10.3 Monographies
11 Voir aussi
11.1 Articles connexes
11.2 Liens externes
Étymologie
Sous ses différentes formes, le nom de Dionysos signifie probablement « fils de Zeus »[3], une étymologie qui rejoint une formule traditionnelle indo-européenne selon laquelle le Feu divin est le « fils du Ciel du jour »[4].
Le mythe
Naissance
Théophraste, au IIIe siècle av. J.-C., écrit au Livre IV de son ouvrage Histoire des plantes, que Dionysos est né sur le mont Méros, dans le Pakistan actuel[5]. Dionysos est le seul dieu né d'une mère mortelle : Dès Homère et Hésiode[6], il est présenté comme le fils de Zeus et de Sémélé, (Ζεμελώ / Zemelố « terre » une ancienne déesse Terre), fille du roi de Thèbes Cadmos et d'Harmonie. Plus précisément, le récit de sa conception montre que Dionysos est né de la Terre frappée par la foudre, « la Terre Mère fécondée par l'éclair céleste du dieu Ciel »[7], naissance caractéristique d'un Feu divin.
Poussée par Héra, jalouse, déguisée en sa nourrice, Sémélé demande à contempler Zeus, de qui elle est enceinte, dans toute sa majesté. Incapable de supporter cette vue, Sémélé trouve la mort. Zeus tire alors son fils du ventre de sa mère et, s'entaillant la cuisse, y coud l'enfant pour mener sa gestation à terme[8],[9],[10]. Ce récit de la gestation de Dionysos dans la cuisse de Zeus recouvre un noyau mythique très ancien : le feu allumé par la foudre est essentiellement « fils du Ciel ». Le Ciel est à la fois son père et sa mère tandis que la Terre n'a qu'un rôle passif dans l'opération[11].
Dans la version orphique du mythe, Dionysos-Zagreus est le fils de Perséphone et Zeus. Héra, jalouse, demande aux Titans de se débarrasser du nouveau-né. Ceux-ci coupent donc Dionysos en morceaux et le font cuire dans une marmite. Athéna ramasse pourtant son cœur et le donne à Zeus qui en féconde ensuite Sémélé. Dans les deux cas, Dionysos connaît deux naissances, ce qui explique l'une de ses épithètes, δίογονος / díogonos, « le deux fois né ». Pour le soustraire à la vengeance d'Héra, il est confié à Ino, sœur de Sémélé, et à son époux, Athamas. Mais découvert par Héra, Dionysos est alors remis aux nymphes, sous la direction de Silène, sur un mont de Thrace, Nysa, lieu mystérieux[12] et montagneux, où les nymphes Hyades élevèrent le jeune Dionysos, le « Zeus de Nysa ». Pour échapper à Héra, il est transformé en chevreau. Cependant, après l'épisode de Penthée, Héra, réputée pour sa rancune tenace, décide de punir Ino et Athamas d’avoir recueilli Sémélé. Elle rend le couple fou.
Jeunesse et exploits
Il mène une adolescence mouvementée : selon l’Iliade, il est d'abord poursuivi par Lycurgue, puis est fait prisonnier par des pirates tyrrhéniens qu'il transforme en dauphins, auxquels il n'échappe qu'en réalisant d'effrayants prodiges (Hymnes homériques).
Selon Euripide, Dionysos installe son culte en Lydie, en Phrygie, en Perse et en Asie, et ne vient en Grèce qu'ensuite[13]. Dans l'épopée Les Dionysiaques, où Nonnos de Panopolis fait la synthèse de plusieurs traditions concernant le dieu, Dionysos doit prouver sa valeur aux autres dieux de l'Olympe en commençant par conquérir les Indes. Il part avec une armée de Bacchantes, de ménades et de satyres, et affronte de nombreux ennemis, dont il convainc une partie en leur faisant découvrir le vin.
En Grèce, le culte de Dionysos excite d'abord les railleries, et il doit châtier les filles d'Argos près d'Éleuthère ainsi que Penthée, roi de Thèbes, pour cela. Dionysos est, avec Apollon, un dieu qui se manifeste par épiphanies (apparitions) : éternel voyageur, il surgit par surprise. Il se présente toujours comme un étranger, courant le risque de ne pas être reconnu.
Désireux d'aller visiter sa mère aux Enfers, Dionysos demande l'aide d'un guide, Prosymnos, qui accepte de lui montrer le chemin en plongeant avec lui dans le lac de Lerne, qui communique avec le royaume d'Hadès. Ce plongeon est associé à de nombreux rites initiatiques en Grèce ancienne, généralement liés au passage de l'adolescence à l'âge adulte, et donc aussi aux amours entre un aîné (éraste) et un cadet (éromène). Prosymnos accepte ainsi d'aider le jeune dieu mais exige en échange que celui-ci, lorsqu'ils seraient de retour, lui accorde ses faveurs. Mais lorsque Dionysos revient des Enfers, Prosymnos, lui, est mort. Le dieu décide de tenir son engagement malgré tout : il taille un morceau de figuier en forme de phallus et s'acquitte de sa dette sur la tombe de Prosymnos[14].
Revenu des Enfers, Dionysos avait également arraché Sémélé au royaume des Ombres. Il la transporta dans l'Olympe grâce à Hestia qui lui cède sa place, où elle devint immortelle sous le nom de Thyoné.
Dans le panthéon grec, Dionysos est un dieu à part : c'est un dieu errant, un dieu de nulle part et de partout. À la fois vagabond et sédentaire, il représente la figure de l'autre[réf. nécessaire], de ce qui est différent, déroutant, déconcertant, anomique.
« Le retour de Dionysos chez lui à Thèbes, s'est heurté à l'incompréhension et a suscité le drame aussi longtemps que la cité est demeurée incapable d'établir le lien entre les gens du pays et l'étranger, entre les autochtones et les voyageurs, entre sa volonté d'être toujours la même, de demeurer identique à soi, de se refuser à changer, et, d'autre part, l'étranger, le différent, l'autre. »
— Jean-Pierre Vernant, « Dionysos à Thèbes », dans L'univers, les dieux, les hommes p.190
Il est rarement associé à la gent olympienne. Il se contente de prendre part à la Gigantomachie, et négocie auprès d'Héphaïstos la libération d'Héra prise au piège par ce dernier.
Ses amours
Le premier amour de Dionysos est un adolescent nommé Ampélos. Mort accidentellement, il est ensuite changé par le dieu en constellation[15] ou bien en pied de vigne[16].
Alors que Thésée a abandonné Ariane sur l'île de Naxos, Dionysos passait par là et serait tombé amoureux d'elle, il apparaît à Ariane, l'emmène sur l'Olympe et en fait sa femme. Elle est parfois vue comme la mère des Ménades. En cadeau de mariage, Dionysos aurait jeté sa couronne dans le ciel pour lui rendre hommage ; ce sera la constellation de la couronne boréale. Ariane est divinisée après cela et devient une personnification de la terre fertile.
D'Althée, la reine de Calydon, il a une fille, Déjanire, qui sera adoptée par l'époux d'Althée, Œnée. Enfin, Aphrodite lui donne plusieurs fils, à savoir Priape, divinité phallique des vergers et des jardins, Hyménée, dieu du chant nuptial, et, selon le 57e Hymne orphique, l'Hermès souterrain, chtonien ou infernal.
De la nymphe Nikaia (en), il a une fille Teléte.
Dionysos, héros qui meurt et renaît
Dans la légende des femmes d'Argos, celles-ci devenues folles dévorent leurs nourrissons car elles n'avaient pas exalté convenablement Dionysos[17]. Dans deux versions de cette légende, Persée, héros des Argiens, intervient et vainc Dionysos. Il le tue et le jette dans un lac ou, selon Philochore, il va mourir à Delphes où il a son tombeau. Selon Pausanias et Nonnos, l'affrontement se termine par une réconciliation et l'admission du culte dionysiaque à Argos[18].
Apparemment incompatible avec l'idée d'un Dionysos immortel, ce Dionysos, héros qui meurt et renaît périodiquement, correspond à la nature de Dionysos ancien « Feu divin ». Cette héritage explique la conception qui avance que la nature de Dionysos serait unique : différente de celle des autres dieux puisqu'il est soumis à la mort, mais également des mortels puisqu'il renaît. Ainsi, comme le rapporte Plutarque, les Delphiens prétendent que les restes de Dionysos sont enfouis chez eux près de l'endroit où se rendent les oracles. Il repose « près du Feu Immortel et du trépied ». Ces morts sont suivies de résurrections. Pour Jean Haudry, cet ensemble de pratiques et de conceptions se rattachent à un ancien dieu Feu qui meurt quand on l'éteint et renaît quand on le rallume[19].
Apparences
Dionysos présente plusieurs caractéristiques physiques d'un Dieu feu. Il est décrit à date ancienne comme blond (khrusokómēs[20]). Les masques de terre cuite de l'époque archaïque lui donnent un visage rouge, des cheveux et une barbe blonde[21] Selon Pausanias, on applique une peinture rouge sur son visage, et selon Euripide, il a des « yeux de vin ». Son manteau est de couleur poupre et il est revêtu d'une peau de chèvre noire[22].
Enfin, comme Shiva, Dionysos a des cornes de taureau, animal lié au feu. Ainsi, les femmes d'Élide invoquent Dionysos « digne taureau » et il est dit bougenēs « né d'une vache ». Bernard Sergent rappelle que Dionysos est souvent représenté cornu[23].
Mythes semblables
- Les trois filles de Proétos (Lysippé, Iphinoé, Iphianassa) frappées de démence par Dionysos ou Héra et guéries par Mélampe[24].
- Les sœurs Agavé, Ino et Autonoé, qui tuèrent Penthée, le fils d'Agavé, lors d'un délire dû à Dionysos.
- Les Minyades, filles du roi d’Orchomène en Béotie, Minyas, au nombre de trois : Leucippé, Arsinoé et Alcathoé, qui refusèrent de s’adonner au culte de Dionysos. Pour se venger il les punit en les frappant de folie.
Origine
Dionysos a représenté d'abord un dieu de la fureur - son qualificatif le plus anciennement attesté est mainómenos « furieux »[25] -, puis celui des boissons alcoolisées et Dionysos Eleútheros issu de la racine « croître » un dieu de la croissance, tout comme le Līber Pater romain, la Lauma lette, le Vofionus osque et la Louzera vénète, divinités qui tirent leurs noms de la même racine[26].
Mais le dieu le plus proche de Dionysos est le Shiva indien, comme l'avait remarqué les auteurs anciens[27], dieu issu du Feu divin indo-européen et comme lui dieu de la végétation[28].
Dionysos est un ancien Feu divin comme le rappellent de nombreuses attestations : les flammes de la foudre sont ses nourrices, ses qualificatifs puróeis « ardent », purigenēs « né du feu », puripaís « enfant du feu », ainsi que les torches utilisées dans ses fêtes[29]. Le feu est présent dans la commémoration de la mort et de la renaissance de Dionysos. La fête était nommée Deudophories d'après l'acte central de porter le feu sur le sommet de la montagne où il symbolisait la renaissance de Dionysos[30]. Un hymne orphique l'identifie au feu[31].
Tout comme Shiva, Dionysos est un dieu paradoxal, contradictoire, aux multiples visages. Ces paradoxes s'expliquent par la mythologie du feu. Dionysos autopátōr « père de lui-même » est l'exacte contrepartie du dieu indien Agni « rejeton de lui-même ». Dionysos Dimorphos « dieu qui renaît éternellement de lui-même »[32], « père et fils des dieux » reflète une concordance formulaire du Feu divin[33]. Il est décrit tour à tour comme viril et efféminé, mâle et femelle, jeune et vieux - « le plus ancien et le plus jeune de tous les dieux » -, violent voire guerrier et pacifique, joyeux et sinistre, véridique et trompeur. Un certain nombre de ces contrastes se justifient par le contraste entre le feu et le foyer.
Mâle comme Shiva, il a pour emblême le phallus, d'où la présence à ses côtés des satyres et des silènes, mais le foyer est féminin. Le feu est dit jeune et vieux car on rallume le foyer après l'avoir éteint. Le feu sauvage est fort et violent quand celui du foyer est faible et démuni car sa survie dépend de celui qui l'entretient. On jure devant le foyer qui est garant de la vérité, mais le feu est dit trompeur car imprévisible. Ces aspects contradictoires ont eu pour conséquence que, dès l'Antiquité, on a cherché à distinguer plusieurs Dionysos, mais la nature de feu divin explique ces paradoxes[34].
Comme Agni, seigneur du feu sacrificiel et du foyer, Dionysos est dit « mangeur de viande crue ». On lui accole l'épiclèse d'Ὠμάδιος / Ômádios « qui aime la chair crue »[35], épithète assez étonnante pour un dieu le plus souvent pacifique. Mais ce trait caractérise également un dieu Feu dans sa fonction funéraire. C'est à ce titre qu'on lui offre des sacrifices humains[36]Héraclite dans un passage célèbre identifie Dionysos à Hadès sans saisir que s'il existe un Dionysos funèbre, celui-ci n'est pas semblable au « maître des Enfers » : il s'agit du feu du bûcher. C'est dans ce contexte qu'il est qualifié de glouton (laphúsios) et de destructeur d'hommes (anthropōrraístēs)[37].
Fonctions
Si Dionysos est avant tout un dieu du vin, il ne l'est que secondairement. Il ne l'est seulement que parce que le vin est considéré traditionnellement comme une des formes du feu[38]. Le vin est une « eau de feu »[39]. Il se spécialise ensuite dans la vigne, qu'il est censé avoir donnée aux hommes, ainsi que dans l'ivresse et la transe mystique. Ses attributs incluent tout ce qui touche à la fermentation, aux cycles de régénération. Il est le dieu de la végétation arborescente et de tous les sucs vitaux (sève, urine, sperme, lait, sang), comme en témoignent ses épiclèses de Φλοῖος / Phloîos (« esprit de l'écorce ») ou encore de Συκίτης / Sukítês (« protecteur des figuiers »). Il est fils de Sémélé, avatar de la déesse phrygienne de la terre, amant d'Ariane, déesse minoenne de la végétation, et le compagnon des nymphes et des satyres. Il est également fréquemment associé au bouc et au taureau, animaux jugés particulièrement prolifiques[réf. nécessaire].
Il est surtout le père de la comédie et de la tragédie (du grec τράγος / trágos, « bouc »). C'étaient au départ des sortes d'« illustrations » du culte, qui se donnaient au théâtre grec au cours des Dionysies, en présence de ses prêtres (comme les mystères que l'on jouait au Moyen Âge sur les parvis des cathédrales). Elles avaient une forme littéraire scandée particulière, le dithyrambe. Les chants et musiques dionysiaques font appel aux percussions et aux flûtes. Ils sont dissonants, syncopés, provoquent la surprise et parfois l'effroi. En ce sens, il est l'antithèse d'Apollon, qui patronne l'art lyrique et l'harmonie. D'ailleurs les flûtistes (aulètes) étaient perçus comme des bateleurs et non des musiciens, car l'usage de l'instrument déformait leur bouche, ce qui heurtait l'esthétique grecque et donnait lieu à des plaisanteries.
Dionysos, dieu de l'ivresse et de l'extase, est celui qui permet à ses fidèles de dépasser la mort. Le vin, comme le soma védique, est censé aider à conquérir l'immortalité.
Jane Ellen Harrison[40] signale que Dionysos, dieu du vin (boisson des couches aisées), s'est substitué tardivement à Dionysos, dieu de la bière (boisson des couches populaires), ou Sabazios, dont l'animal emblématique chez les crétois était le cheval (ou le centaure). Il se trouve que la bière athénienne était une bière d'épeautre, trágos en grec. Ainsi, les « odes à l'épeautre » (tragédies) ont-elles pu être considérées tardivement, par homonymie, comme des « odes aux boucs » (l'animal qui accompagnait le dieu et associé au vin chez les crétois).
Friedrich Nietzsche, en philologue confirmé, se réfèrera à plusieurs reprises à Dionysos, comme inspirateur d'une tragédie[pas clair], et facette de la création poétique de tous temps. Il se décrit à ce titre comme étant lui-même un descendant du dieu de la vigne, duquel il reprend les oreilles, instrument d'inspection et d'analyse permettant une meilleure précision que la vue.
La liturgie et les cultes
Les Grecs considéraient Dionysos comme une divinité étrangère, ainsi que l'indique l'attribut du bonnet phrygien, qu'il partage avec Mithra. On a parlé d'une origine indienne et mésopotamienne. Le décryptage par Michael Ventris et John Chadwick des tablettes en linéaire B découvertes dans les palais mycéniens a cependant révélé que le nom de Dionysos figurait dans la liste des divinités grecques dès l'époque mycénienne[41].
Les fêtes de Dionysos comme celles de Shiva se répartissent sur l'automne, l'hiver et le printemps[42].
Le centre du culte dionysiaque culmine avec la fête des Anthestéries, célébration solsticiale hivernale et fête des morts. Dionysos est alors le dieu chthonien de l'hiver, complémentaire ou opposé à l'Apollon solaire. Les Anthestéries sont la fête d'un dieu Feu qui triomphe des ténèbres[43].
La célébration de la fin de l'hiver est aussi à rapprocher d'un autre culte à mystères, celui de Déméter. En effet, dans le culte orphique de Dionysos-Zagreus, Dionysos est le fils des amours de Zeus et de Perséphone. Dionysos-Zagreus n'arrive pas à échapper aux Titans envoyés par Héra pour le tuer, et ses meurtriers le dépecèrent et en mangèrent les morceaux. Apollon reçut l'ordre de Zeus de recueillir ses membres et de les ensevelir, ce qu'il fit sous le trépied de Delphes. Quant à Athéna, elle recueillit le cœur de Dionysos-Zagreus et l'apporta à Zeus (ou à Sémélé) qui le dévora pour donner naissance au second Dionysos, le Dionysos thébain deux fois-né.
Son culte public donnait lieu aux fêtes des « Dionysies » consistant principalement dans la procession d'un phallus, mais il existait aussi un important culte secret, représenté par des mystères, comportant des cérémonies initiatiques. Il est souvent accompagné d'un groupe de satyres, de Ménades, de panthères, de boucs, d'ânes et du vieux Silène, formant le « cortège dionysiaque ».
Le culte privé avait lieu entre initiés, c'est un culte à mystères. Le regroupement de ces initiés porte le nom de thiase. Les thiases pratiquaient un culte caché et initiatique, souvent dans des cavernes et la nuit, au cours desquels on initiait les nouveaux membres du thiase, et qui officiaient dans la dimension ésotérique de la résurrection du dieu deux fois-né. On manque de sources pour savoir ce qui s'y passait exactement, mais ces cérémonies secrètes et nocturnes ont perduré jusque sous l'Empire romain. Elles comportaient des sacrifices, mais aussi des délires dus à l'ivresse ou à la consommation de drogues végétales, et des excès de toutes sortes, notamment sexuels.
Dieu de la nature sauvage, Dionysos est le moins politique des dieux grecs[44]. Son culte s'impose à la cité mais n'en provient pas : « le dionysisme... exprime la reconnaissance officielle par la cité d'une religion qui, à bien des égards, échappe à la cité, la contredit et la dépasse »[45]. Néanmoins, le Dionysos du foyer, le culte de Dionysos des Anthestéries athéniennes avaient le caractère d'un culte du foyer national et il est probable que le Dionysos thébain avait un caractère national encore plus marqué. Ce Dionysos du foyer familial et national peut avoir inspiré l'esprit de la tragédie[46].
Dionysos est un dieu très répandu et très populaire dans toute l'Antiquité. On trouve de nombreux temples tout autour du bassin méditerranéen, qui voisinent avec ceux des plus grands dieux. A l'époque hellénistique, il devient même un dieu civilisateur.
Enfin, il faut signaler l'existence d'une résurgence contemporaine du culte de Dionysos. Il existe ainsi plusieurs thiases aux États-Unis, et quelques-uns en Europe, mais qui n'ont rien à voir avec ceux de l'Antiquité.
Iconographie
Il existe d'innombrables statues de Dionysos, à l'époque où il était un dieu révéré. On trouve également nombre de mosaïques à énigme, car il était courant pour un initié un peu riche de le faire savoir au sol d'une pièce publique de sa maison. Enfin, des scènes évoquant ses aventures sont souvent présentes sur des sarcophages ou bas-reliefs, car il avait une place importante dans les rituels de la mort et de la renaissance. Lorsque son culte s'est éteint, ses représentations ont souvent repris la confusion avec Bacchus, et il faut attendre le symbolisme pour le voir réapparaître avec le thyrse dans la peinture d'un Simeon Solomon.
Paris, musée du Louvre : Dyonisos chez Icarios, bas-relief ;
Hélicon : Dionysos, bronze par Myron[47],[48] ;
Dyonisos, par Denys d'Argos[réf. nécessaire] ;
Mercure nourrissant Dionysos petit[49], par Céphisodote l'Ancien[réf. nécessaire] ;
Olympie, musée archéologique : Hermès portant Dionysos enfant, attribué à Praxitèle[50] ;
Dionysos, par Euclide, sculpteur hellénistique[réf. nécessaire] ;
Dionysos, statue de Scopas pour le ville de Cnide[réf. nécessaire] ;
Espagne, collection privée : Dionysos, Ier siècle, torse en marbre, hauteur 51 cm[51];
Dionysos en habit de femme, sculpture au musée Pio-Clementino.
Attributs et épiclèses
Épiclèses
Ἀκρατοφόρος / Akratophóros (Acratophore), celui qui sert du vin pur
Δενδρίτης / Dendrítês, protecteur des arbres
Ὠμάδιος / Ômádios, qui aime la chair crue
Φαλληνός / Phallênós, garant de la fécondité
Φλοῖος / Phloîos, esprit de l'écorce
Συκίτης / Sukítês, protecteur des figuiers
Épithètes
Ζαγρεύς / Zagreús, fils de Zeus et de Perséphone
Bromios, « au bruyant cortège »
Δίγονος / Dígonos, « deux fois né »
Βάκχος / Bákkhos, « qui retentit »
Attributs
L'attribut majeur et personnel de Dionysos est le thyrse qu'il tient à la main, qu'on trouve à ses pieds ou dans son cortège.
Plantes principales
Le pin et le lierre, ainsi que leurs fruits, la pomme de pin et les baies de lierres, dont il est souvent couronné. Ces plantes sont une apparente exception dans la nature, car elles sont toujours vertes au cours de l'année, et ne semblent pas perdre leurs feuilles, ce qui renvoie aux résurrections du dieu. On notera aussi que les vrais fruits du pin sont cachés dans la pomme, et que les baies de lierre, toxiques, entraient dans la fabrication d'une bière que consommaient les ménades, et qui contribuait à leur transe. On trouve aussi le grenadier et la grenade, le figuier et les figues (le grenadier est issu du sang du dieu, ses fruits mûrissent en hiver, et Perséphone reste liée aux enfers pour en avoir mangé ; le figuier est associé à la vie cachée dans le monde méditerranéen, car il pousse spontanément là où il y a de l'eau souterraine et révèle les sources).
Comme il a apporté la vigne et le vin aux hommes, on trouve également la vigne et le raisin, la coupe à boire. Mais il s'agit plutôt d'une contamination avec Bacchus, son équivalent romain.
Autres
Le bonnet phrygien rappelle son origine asiatique. On trouve aussi la flûte, les cymbales et les tambourins.
Animaux associés : le bouc, la panthère, l'âne.
Temples majeurs : Athènes (théâtre de Dionysos), Éleusis, Smyrne, Éphèse.
Fêtes en son honneur : Dionysies, Anthestéries, Agrionies, Lénéennes.
Notes et références
Hymne orphiques, éditions Les Belles Lettres, (ISBN 978-2-251-00593-5), page LXII.
Euripide, Les Bacchantes [détail des éditions] [lire en ligne], 623.
Pierre Chantraine et autres, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, 4 vol., Paris, Klincksieck, 2009, p. 1288
Jean Haudry, Le feu dans la tradition indo-européenne, Archè, Milan, 2016 (ISBN 978-8872523438), p. 391-392
Amigues 2010, p. 138, n. 37
Homère, Iliade [détail des éditions] [lire en ligne], XIV, 323-325 et Hésiode, Théogonie [détail des éditions] [lire en ligne] 940-942.
Henri Jeanmaire, Dionysos, Payot, 1951, p.336
Hérodote, Histoires [détail des éditions] [lire en ligne], II, 146, 2 et Euripide, Bacchantes, 89-98.
C'est l'origine de l'expression « être né de la cuisse de Jupiter » : La cuisse est, dans la culture indo-européenne, le siège de la force vitale
http://www.homeros.fr/IMG/pdf/Genoux-Homere-FL.pdf, texte additionnel.
Henri Jeanmaire, ibid, 1951, p.336
Lucien de Samosate 2015, p. 1156, note 2.
Euripide, Les Bacchantes, prologue.
Ce mythe est étudié par Bernard Sergent dans Homosexualité et initiation chez les peuples indo-européens, éditions Payot.
Ovide, Fastes [détail des éditions] [lire en ligne], III, 407 et suiv.
Nonnos de Panopolis, Dionysiaques [détail des éditions] [lire en ligne], XI, 185 et suiv.
Apollodore, Bibliothèque [détail des éditions] [lire en ligne], III, 5, 2.
Jean Haudry, ibid, 2016, p. 369-370
Jean Haudry, ibid, 2016, p. 393-394
Hésiode, Théogonie, 947
(de) Walther Wrede, Der Maskengott, Athenische Mitteilungen, LIII 1928, 66-95, 1928
Jean Haudry, ibid, 2016, p. 352-354
Bernard Sergent, Le Dieu fou, Essai sur les origines de Śiva et de Dionysos, 448 pages, ed. les belles lettres, 2016, p. 255
Apollodore, Bibliothèque [détail des éditions] [lire en ligne], II, 2, 2.
Iliade, 6,132
Jean Haudry, Le feu dans la tradition indo-européenne, Archè, Milan, 2016 (ISBN 978-8872523438), p. 327-328
notamment Arrien et Strabon
Sur le parallèle Shiva et Dionysos : Alain Daniélou, Shiva et Dionysos, Fayard 1979 et Bernard Sergent, Le Dieu fou, Essai sur les origines de Śiva et de Dionysos, 448 pages, ed. les belles lettres, 2016
Maria Daraki, Dionysos et la déesse terre, Champs essais (n° 311) - Sciences humaines, (1985), 1994, p.21 et suiv.
(en) William D. Furley, Studies in the Use of Fire in Ancient Greek Religion, New York : Arno Press, 1981, p.103
Jean Haudry, ibid, 2016, p. 349
Robert Turcan, Dionysos Dimorphos : une illustration de la théologie de Bacchus dans l'art funéraire, Mélanges de l'école française de Rome, Année 1958, 70, pp. 243-294
Jean Haudry, ibid, 2016, p. 350
Jean Haudry, ibid, 2016, p. 350-351
Eusèbe de Césarée, auteur chrétien, a évoqué des sacrifices au cours desquels on dépeçait la victime vivante pour la consommer
Bernard Sergent, ibid, 2016, p. 231 et suiv.
Jean Haudry, ibid, 2016, p. 355-356
Robert Triomphe, Prométhée et Dionysos, Presses universitaires de Strasbourg, 1992, 28 n.68, 112
Haudry, ibid, 2016, p. 375
(en) J. E. Harrison, Prolegomena to the Study of Greek Religion, VIII.
(en) Michael Ventris, John Chadwick, Documents in Mycenaean Greek, At the University Press, 1973, 622 pages
Bernard Sergent, ibid, 2016, p. 224
Jean Haudry, ibid, 2016, p. 360-363
Henri Jeanmaire, ibid, 1951, p.8
Jean-Pierre Vernant, Mythe et religion en Grèce ancienne, Paris, Le Seuil, 1990, p.98
Jean Haudry, ibid, 2016, p. 396-397
Anthologie grecque, XVI, 257.
PauDess, IX, 30, 1.
Pline l'Ancien, Histoire naturelle [détail des éditions] [lire en ligne] (XXXIV, 87).
Le rapprochement est effectué dès l'annonce officielle de la découverte dans la section « Berichte aus Olympia » de l'Archäologische Zeitung de 1877 : « Die Identität des Gebäudes wird aber durch den Fund einer Statue aus parischen Marmor erwiesen, welche Pausanias im Heraion erwähnt. Es ist ein jugendlicher Hermes mit dem kleinen Dionysos auf dem Arm, das Werk des Praxiteles. », cité par Richter, p. 290.
Archéologia, no 538, décembre 2015, photographie en dernière de couverture.
Bibliographie
Textes
Émile Chambry, Émeline Marquis, Alain Billault et Dominique Goust (trad. Émile Chambry), Lucien de Samosate : Œuvres complètes, Éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2015, 1248 p. (ISBN 9782221109021)
(grc)(fr) Textes dionysiaques : G. Colli, La Sagesse grecque, 1977, t. 1 : Dionysos, Apollon, Éleusis, Orphée, Musée, Hyperboréens, Énigme, L'Éclat, 1990, p. 52-71.
Études
Jean Brun, Le Retour de Dionysos, Tournai, Desclée, 1969. Réédition : Les Bergers et les Mages (1976).
Alain Daniélou, Shivä et Dionysos, Mythes et Rites d'une Religion Préaryenne, Fayard, 1980.- Maria Daraki :
Dionysos, Arthaud, 1985 (ISBN 2700305035),
Dionysos et la déesse Terre, Flammarion, coll. « Champs », 1999 (ISBN 2080813110).
Marcel Detienne :
Dionysos mis à mort, Gallimard, coll. « Tel », Paris, 1998 (ISBN 2070742121),
Dionysos à ciel ouvert, Hachette, coll. « Pluriel », Paris, 1998 (ISBN 2012788955).
Louis Gernet, « Dionysos et la religion dionysiaque : éléments hérités et traits originaux » Anthropologie de la Grèce antique, Flammarion, coll. « Champs », 1999 (ISBN 2080811053).
Jean Haudry, Le feu dans la tradition indo-européenne, Archè, Milan, 2016 (ISBN 978-8872523438), p. 347-403- Henri Jeanmaire, Dionysos, histoire du culte, Payot, 1991 (ISBN 2228884405).
Walter F. Otto, Dionysos, le mythe et le culte, Mercure de France, 1969 (ASIN B0000DORX8).
Jean-Pierre Vernant, « Dionysos à Thèbes », in L'univers, les dieux, les hommes, Seuil, 1999.
Monographies
- J. Rutland (trad. F. Carlier), une cité grecque au téléobjectif, Éditions Gamma, 1982, 29 p. (ISBN 2-7130-0491-8)
Théophraste (trad. Suzanne Amigues), Recherches sur les plantes : À l’origine de la botanique, Belin, 2010, 432 p. (ISBN 978-2-7011-4996-7).
- Atrium Musicae de Madrid, Musique de la Grèce antique, Harmonia Mundi.
Voir aussi
Articles connexes
Zagreus et Iacchos, avatars orphiques de Dionysos
Ménades et Bacchantes, son bruyant cortège
Silène, son père adoptif- Dithyrambe
Cúchulainn, Batraz
Liens externes
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