Affaire du sang contaminé
L'affaire du sang contaminé est un drame sanitaire, considéré comme un scandale, ayant touché plusieurs pays dans les années 1980 et 1990 à la suite d'infections par transfusion sanguine. En raison de mesures de sécurité inexistantes ou inefficaces, de nombreuses personnes ont été contaminées par le VIH ou l'hépatite C à la suite d'une transfusion sanguine.
L'épidémie du SIDA fut initialement identifiée dans les années 1980. Par la suite, de nombreuses années de recherche ont été nécessaires avant de découvrir le VIH et de comprendre ses modes de transmission, notamment par le sang. Le délai avant l'adoption de mesures de prévention adéquates a provoqué la contamination, souvent fatale, de plusieurs centaines de personnes[1].
Sommaire
1 Contexte
2 L'affaire en France
2.1 Chronologie
3 Les aspects communicationnels de l'affaire
3.1 La couverture médiatique
3.2 Les stratégies communicationnelles des acteurs impliqués
3.3 Les procès
3.4 Autres hypothèses
4 Dans les autres pays
4.1 Canada
4.2 États-Unis
4.3 Chine
4.4 Japon
5 Notes et références
5.1 Notes
5.2 Références
6 Voir aussi
6.1 Bibliographie
6.2 Filmographie
6.3 Articles connexes
6.4 Liens externes
Contexte |
L'affaire du sang contaminé a été révélée dans plusieurs médias, grâce à la Protection des sources d'information des journalistes permettant d'éviter que les personnes ayant révélé l'affaire ne soient inquiétées, mais trop tardivement.
L'affaire en France |
En avril 1991, la journaliste Anne-Marie Casteret publie dans l'hebdomadaire L'Événement du jeudi un article prouvant que le Centre national de transfusion sanguine (CNTS) a sciemment distribué à des hémophiles, de 1984 à la fin de l'année 1985, des produits sanguins dont certains étaient contaminés par le virus du VIH.
En 1992, puis en appel en 1993, quatre médecins sont jugés, deux pour tromperie : l'ancien directeur du CNTS, Michel Garretta, condamné à quatre ans de prison ferme et Jean-Pierre Allain, responsable au CNTS du département recherche et développement jusqu'en 1986, à quatre ans de prison dont deux avec sursis. Deux autres pour non-assistance à personne en danger : Jacques Roux, ancien directeur général de la santé, à trois ans de prison avec sursis alors que Robert Netter, ex-directeur du laboratoire national de la santé, est relaxé.
En 1999, du 2 février au 2 mars, l'ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius et les anciens ministres socialistes Georgina Dufoix et Edmond Hervé ont comparu devant la Cour de justice de la République pour « homicide involontaire ». Cette cour a rendu son verdict par un arrêt qui innocente Georgina Dufoix et Laurent Fabius :
« La Cour,
Rejette les conclusions déposées le 23 février 1999 par maître Maisonneuve et maître Welzer pour Edmond Hervé, les conclusions déposées le 25 février par maître Cahen pour Georgina Dufoix, ainsi que les conclusions déposées le même jour par maître Maisonneuve et maître Welzer pour Edmond Hervé ;
Déclare non constitués, à la charge de Laurent Fabius et de Georgina Dufoix, les délits qui leur sont reprochés, d'atteintes involontaires à la vie ou à l'intégrité physique des personnes[2]. »
Chronologie |
Les premiers cas de sida ont été décrits en 1981[note 1]. La première publication semblant identifier un virus candidat comme responsable du sida date de mai 1983, sans qu'il soit établi qu'un tel virus soit la cause de la maladie[3]. Le virus se nommait à l'époque L.A.V., pour lymphadenopathy associated virus (virus associé à la lymphadénopathie, stade pré-sida de la maladie). On pense encore, à l'instar des hépatites, que certaines personnes peuvent être porteurs sains, et que seulement 5 % des personnes contaminées développeraient la maladie. La traçabilité des lots de produits sanguins n'était pas encore une pratique courante[réf. nécessaire].
Fin 1983, l'Organisation mondiale de la santé (O.M.S.) recense 267 cas de sida dans les pays membres de la CEE. La France en compte quatre-vingt-douze. La toute première information suggérant un lien entre les transfusions sanguines et le sida date de 1982[4], ce lien sera établi en janvier 1984.
Des mesures préventives furent appliquées. Le 4 mai 1983, face aux risques potentiels représentés par le V.I.H, la firme américaine Travenol-Hyland, un des plus importants producteurs de dérivés sanguins, avait pris la décision d'exclure préventivement tous les produits non chauffés de sa chaîne de production et procéda au rappel des lots hypothétiquement infectés. Elle en informa les directeurs des centres de traitement des hémophiles, y compris le CNTS. Ces mesures furent prises sur l'initiative de l'entreprise sans attendre de décision des pouvoirs publics et ce sur la seule base des informations disponibles[5].
En France, la circulaire du 20 juin 1983 recommandait déjà d'écarter des dons les sujets « à risque » (homosexuels, usagers de drogues injectables, haïtiens, hémophiles et leurs partenaires sexuels)[6],[7]. Mais jusqu'en 1985, ces textes d'informations et de recommandations ne contenaient aucune disposition impérative[8], et ils furent non ou mal appliqués[9].
La circulaire du 20 juin 1983, du professeur Jacques Roux, directeur général de la Santé, ne fut pas appliquée, notamment en prison. Le 13 janvier 1984, une circulaire de Myriam Ezratty, directrice générale de l'administration pénitentiaire, demandait aux directeurs régionaux et aux directeurs des centres pénitentiaires d'augmenter la fréquence des prélèvements de sang dans les établissements pénitentiaires, jusque-là limités à deux fois par an[10]. Le 10 juin 1985, au comité de coordination de la santé en milieu carcéral, il est « décidé de ne pas arrêter ni suspendre les prélèvements sanguins réalisés en établissements pénitentiaires »[11].
On découvre à la fin de 1984 que le chauffage d'extraits du plasma (concentrés de facteur VIII ou de PPSB : concentré de facteur II (Prothrombine), facteur VII (Proconvertase), facteur X (facteur Stuart) et facteur IX (facteur anti-hémophilique B)) permettait d'inactiver le virus (le plasma total, lui, ne supporte pas d'être chauffé, et encore moins le sang) ; il s'agissait alors d'éliminer le virus de l'hépatite B, qui s'est révélé résistant au traitement, et c'est par hasard que l'on a découvert l'inactivation du VIH. Toutefois, les capacités de traitement de la France sont insuffisantes, et celle-ci refuse d'importer du sang de l'étranger (en particulier des États-Unis), essentiellement pour quatre raisons :
- pour des raisons éthiques : le sang utilisé par les laboratoires américains pouvant provenir de pays pauvres, dans lesquels le don de sang est une source de revenu, alors que la doctrine française est le bénévolat[12] ;
- pour des raisons de qualité : le surchauffage aurait provoqué une dénaturation du facteur VIII et donc une diminution d'activité du produit, et le risque d'apparition d'anticorps anti-facteur VIII (anticoagulant circulant) chez le receveur. Cependant, les autorités sanitaires allemandes et américaines, et notamment la Food and Drug Administration, ont démontré l'innocuité de ses produits[13] ;
- pour des raisons financières : l'importation de produits étrangers chauffés produits par les firmes étrangères allemandes et américaines (Behring, Travenol, Alpha, Armour, Cutter et Kabi) représentait une fuite de devises[14] ;
- pour des raisons stratégiques : l'importation des produits chauffés étrangers, disponible à partir de mars 1983, remettait en cause le monopole du Centre national de la transfusion sanguine sur le marché français des produits sanguins. Or, en 1983, le CNTS ne maîtrisait pas la technique de production des produits chauffés. L'unité de production sera opérationnelle à partir de 1984, mais non prévue, dès le départ, pour éliminer le virus du V.I.H.[15]
Des produits non chauffés seront donc distribués jusqu'en 1985 uniquement aux hémophiles dont on sait qu'ils sont déjà LAV+[note 2], les produits chauffés étant réservés aux séronégatifs ou à ceux qui n'avaient jamais été transfusés, en raison de la rareté d'alors des produits[16]. À cause de cela, les stocks de produits non chauffés, d'une valeur de trente-quatre millions de francs, ont été laissés en circulation et remboursés jusqu'au 1er octobre 1985.
Par ailleurs, à partir du 1er octobre, les produits non chauffés ont cessé d'être remboursés, mais il n'y a pas eu d'interdiction de leur utilisation, et surtout pas de rappel des produits déjà en stock ; ainsi, des produits non chauffés ont continué à être utilisés après cette date. Implicitement, les produits non chauffés étaient destinés à des hémophiles déjà séropositifs et les produits chauffés aux séronégatifs ; bien que cela n'ait pas été formellement démontré, l'évolution rapide de la maladie chez certains patients a été attribuée à une surcontamination[note 3].
Par ailleurs, aucune information n'a été délivrée aux patients ; or, l'échange de produits entre hémophiles était une pratique courante[réf. nécessaire] et on estime que cela a occasionné une trentaine à une cinquantaine de contaminations de juin à la fin 1985.
L'opinion publique n'est réellement alertée qu'à la mi-1985, lorsque le Premier ministre annonce le dépistage obligatoire des donneurs de sang à partir du 1er août (arrêté du 23 juillet 1985). À ce moment, 95 % des hémophiles sont déjà contaminés[17]. Les trois fournisseurs de test (Abbott, Pasteur, et Organon-Teknika) n'étaient en mesure de fournir en quantité suffisante la France que vers la mi-juin 1985 ; à la date de parution de l'arrêté, deux tiers des établissements de transfusion faisaient déjà un dépistage systématique des dons. La France fut un des premiers pays à mettre en place les tests de dépistage systématique sur les dons, mais l'arrêté ne mentionnait pas le test des stocks de produit déjà constitués[réf. nécessaire].
L'ampleur du drame n'est connue qu'en août 1986, avec la publication d'un rapport du Centre national de transfusion sanguine, qui affirme qu'un hémophile sur deux a été contaminé, soit près de 2 000 personnes[réf. nécessaire]. Les retards accumulés entre la fin de l'année 1984 et la fin de l'année 1985 pour les produits chauffés, et entre juin et la fin de l'année 1985 pour les tests de dépistage, représentent sans doute quelques centaines de personnes transfusées (hémophiles ou non) sur les 2 000[note 4][réf. nécessaire]. Un certain nombre de points ont été négligés pour des raisons financières[18].
Les produits chauffés ont été à leur tour abandonnés en 1987[réf. nécessaire] au profit des produits « solvants-détergents », car le procédé de chauffage ne permettait pas d'éliminer les virus des hépatites B et C.
Parallèlement, alors que la transfusion sanguine était réglementée par une loi de 1952, on change le dispositif de contrôle par la loi du 4 janvier 1993, relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicament, qui créait notamment l'Agence du médicament, plus tard remplacée par l'AFSSAPS[19].
Les aspects communicationnels de l'affaire |
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La couverture médiatique |
De prime abord, l’affaire ne suscite pas l’intérêt des chercheurs. Ainsi, Anne-Marie Casteret fut longtemps la seule à dénoncer ce scandale. En effet, le 4 décembre 1987, elle publie un article dans lequel elle dévoile les rouages de l’industrie des transfusions sanguines, en expliquant, preuves à l’appui, que le CNTS (Centre National des Transfusions Sanguines) a conservé sur le marché des poches de sang non chauffées sachant pertinemment le risque de contamination que cette action engendrait. En outre, en 1984, un hémophile sur deux sera contaminé car il y a 100% de chance qu’un sang contaminé soit contaminant. Ainsi, comme les poches sont faites avec différents sangs si un seul donneur est contaminé, plus de 1000 personnes peuvent être touchées[20].
Cependant, Mme Casteret fait face à une communauté scientifique perplexe, qui ne semble pas prendre en considération ses accusations.
En 1991, elle essaie à nouveau d’informer le grand public en publiant dans « l'Événement du Jeudi », une série d’articles mais aucun ne fera la couverture de celui-ci. Ce n’est que progressivement que d’autres journaux reprennent ses dires : la couverture médiatique de cette affaire est donc fragmentée. En outre, « le discours de l’information hésite et se reprend à de multiples reprises : le traitement de l'événement s'étale sur plusieurs années. » [21] Par la suite, l’affaire deviendra très médiatisée et, elle reste, encore 20 ans après un sujet fort de l’actualité notamment par le biais des procès des dirigeants. Cependant, il est important de préciser que les informations diffusées ne sont pas si nombreuses : elles sont seulement réinterprétées selon de nouvelles perspectives. Ainsi, chaque acteur essaie, à sa manière, d’influencer l’opinion publique en insistant sur certains aspects du scandale.
L’affaire du sang contaminé fait partie des nombreux scandales qui perdurent même trente ans après. En effet, ce drame fait toujours l’objet de plusieurs procès, durant lesquelles les familles des victimes tentent d’obtenir justice, « d’obtenir un dialogue de vérité, d'égal à égal ». Il est donc possible de voir que même trente ans après, la douleur et la colère des familles ne sont pas cicatrisées. Enfin, il est important de préciser que « l’affaire du sang marque un point de rupture dans le traitement médiatique de la médecine. » [22]
C’est la raison pour laquelle nous allons aborder maintenant les stratégies communicationnelles des principaux protagonistes.
Les stratégies communicationnelles des acteurs impliqués |
Dans cette affaire, une kyrielle d’acteurs est impliquée et, tous tentent de convaincre l’opinion publique de la légitimité de leurs actions. [23]
En effet, les principaux acteurs sont les victimes de cette affaire, et également des personnalités politiques, les corps médicaux et des hommes d’affaires responsables de cette contamination. Ces individus, ont durant de nombreuses années tentés d'étouffer la vérité. L’affaire fût facilement écrasée par les corps médicaux, qui, pour la majeure partie ont payé les donneurs de sang pour les « attirer et par la suite revendre à prix d’or le sang qu’on leur soutire », d’où le fait que les organisations de collecte de sang étaient appelées des « banques de sang ». Les noms de deux docteurs apparaissent très rapidement. Le Docteur Soulier, ancien président du Centre National de Transfusion Sanguine de Paris (CNTS), fût au centre des arrangements commerciaux passés avec d’autres pays. Le Docteur Garretta, ancien directeur du CNTS, et le principal condamné de cette affaire. Effectivement, ce dernier ne s’est pas hâté de chauffer les produits sanguins qui étaient destinés à soulager les hémophiles, ce qui a donc continué d’infecter les patients du virus du Sida. Ces personnalités ont toutes nié être responsables de cette contamination et ont de plus tenté d’acheter les juges pour étouffer l’affaire.
Les victimes quant à elle, et surtout leur famille, vont choisir de propager l’information afin d’avertir le grand public de la situation. Leur version de l’histoire semble incriminer directement le CNTS (Centre National des Transfusions Sanguines) ainsi que les hautes sphères politiques telles que Laurent Fabius (le premier ministre de l’époque) mais aussi Georgina Dufoix (ministre des affaires sociales) et enfin Edmond Hervé (ancien secrétaire d’État à la Santé). Les hémophiles sont révoltés et parlent de « crime contre l’humanité » : la logique financière prime sur la santé des citoyens français. Ainsi, ils font désormais la Une des journaux et cherchent à obtenir réparation auprès de la justice [24] avec l’emprisonnement des personnes impliquées et coupables. Dès lors, de nombreux procès sont lancés (voir la section procès) mais aucun n’aboutit réellement : on parle de « responsables mais pas coupables ». La fin du dernier procès de 2003 se solde par des larmes de la part des familles qui pendant 30 ans se sont battus sans relâche pour mettre les dirigeants face à leurs erreurs.
Le gouvernement, lui, semble résolu à taire les faits en proposant dès 1988 un service d'indemnisations pour les victimes. A cette époque les hémophiles ne paraissent pas enclins à partager leur histoire et à se lancer dans des procès interminables. En 1991, suite au rapport Lucas « L’association française des hémophiles monte au créneau et incite les victimes de la transfusion à déposer contre l’État » [25] Or, le gouvernement met en exergue l’aspect communicationnel entretenu avec les chercheurs qui lui ont assuré que les produits chauffés n’étaient peut-être pas la solution véritable. La faute est donc rejetée de part et d’autre et aucun protagoniste ne veut endosser la responsabilité. Les politiques accusés se livre un à un à des entrevues télévisées pour convaincre l’auditoire de leur innocence, c’est d’ailleurs dans l’une d’entre elles que Georgina Dufoix déclare « Je me sens responsable mais pas coupable ». Néanmoins, l’opinion publique prend parti pour les victimes car les motifs financiers paraissent être de bonnes accusations. En revanche, la justice, elle, montre que celles-ci ne sont pas valables et tous les membres sont alors relaxés. Ainsi, la communication de l’État n’est pas un véritable succès et ne tend pas vers un des principes fondamentaux de la démocratie : la transparence.
Les procès |
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Le procès des ministres devant la Cour de justice de la République n'est pas le premier. En effet, le 23 octobre 1992 devant le tribunal correctionnel, puis en appel le 13 juillet 1993, quatre médecins, dont l'ancien directeur du CNTS, Michel Garretta, avaient été jugés pour tromperie et non-assistance à personne en danger. En première instance, Jean-Pierre Allain, responsable au CNTS du département recherche et développement jusqu'en 1986, avait été condamné à quatre ans de prison dont deux avec sursis, Jacques Roux, ancien directeur général de la santé à quatre ans de prison avec sursis, Michel Garretta à quatre ans de prison ferme et 500 000 francs d'amende, et Robert Netter, ex-directeur du laboratoire national de la santé, avait été relaxé. En appel, la peine de Jacques Roux est réduite à trois ans de prison avec sursis, les peines de Michel Garretta et Jean-Pierre Allain sont confirmées, Robert Netter est condamné à un an de prison avec sursis. La Cour de cassation avait confirmé l'arrêt de la Cour d'appel le 22 juin 1994 et rejeté le pourvoi de Jean-Pierre Allain. Le CNTS n'était qu'un des sept centres de fractionnement et ne fournissait « que » 30 % du PPSB en France.
Ainsi, le 17 juillet 1998, la commission d'instruction de la CJR a renvoyé M. Fabius et Mme Dufoix pour la mort de trois personnes, et la contamination de deux autres. M. Hervé est poursuivi pour les mêmes faits et pour deux autres décès.
Plus précisément, Laurent Fabius, alors Premier ministre, avait appris le 29 avril 1985, par son conseiller industriel Jacques Biot, que « Diagnostics Pasteur » pouvait prendre une large fraction du marché national du test de dépistage du sida à condition que fût mise en place « une gestion astucieuse du calendrier ». En effet, le test français a pris du retard sur le test américain Abbott.
En ce qui concerne Georgina Dufoix, ancienne ministre des Affaires sociales, la commission d'instruction lui reprochait d'avoir freiné, pour des raisons financières, la mise en place du dépistage systématique. On lui reprochait aussi et surtout d'avoir différé au 1er octobre 1985 l'entrée en application d'un arrêté du 23 juillet, qui mettait fin au remboursement des produits sanguins non chauffés, largement contaminés. Sa déclaration sur TF1, le 4 novembre 1991 : « Je me sens profondément responsable ; pour autant, je ne me sens pas coupable, parce que vraiment, à l’époque, on a pris des décisions dans un certain contexte, qui étaient pour nous des décisions qui nous paraissaient justes. » a été résumée par une formule devenue célèbre (« responsable mais pas coupable »)[26].
Quant à Edmond Hervé, ancien secrétaire d'État à la Santé, il était le plus lourdement chargé par l'accusation. C'était le seul contre qui furent retenues les trois fautes qui constituent l'affaire du sang contaminé, à savoir : le retard dans la généralisation du dépistage, l'absence de sélection des donneurs de sang et l'interdiction tardive des produits sanguins non chauffés.
Les trois anciens ministres ont comparu en février et mars 1999 devant la Cour de justice de la République (CJR) pour homicides involontaires. Le 9 mars 1999, Laurent Fabius et Georgina Dufoix ont été relaxés par la CJR, la CJR soulignant que l'action de Laurent Fabius « a contribué à accélérer les processus décisionnels ». Par contre, Edmond Hervé a été condamné pour manquement à une obligation de sécurité ou de prudence, mais dispensé de peine, au motif qu'il avait été « soumis, avant jugement, à des appréciations souvent excessives ».
Les dernières procédures se sont terminées en 2003, le 18 juin avec un non-lieu général confirmé par la Cour de cassation pour les conseillers ministériels et médecins poursuivis depuis 1994, et le 6 novembre avec un dernier non-lieu de la commission d'instruction de la CJR en faveur de l'ancien ministre de la Santé, Claude Évin, mis en examen en mai 1999 pour « homicide involontaire ».
Autres hypothèses |
Depuis les années 1970, l'hypothèse que le plasma sec transfusé aux hémophiles transmet des hépatites B et C est encore fréquemment évoquée[réf. souhaitée].
L'Association française des hémophiles (AFH) a obtenu qu'un processus d'indemnisation soit mis en place par l'État[27].
Dans les autres pays |
Canada |
L'ancien directeur de la Croix-Rouge canadienne, Roger Perrault, deux autres médecins de la Direction générale de la protection de la santé du Canada, et un médecin ex-président de la société Armour Pharmaceutical, du New Jersey, ont été accusés d'avoir distribué des produits coagulants infectés par le VIH, dans les années 1980 et 1990.
Les accusés ont été acquittés le 1er octobre 2007 par la Cour supérieure de l'Ontario[28]. L'affaire a mené les provinces et territoires canadiens à instaurer leur propre organisme responsable de la collecte et de l'approvisionnement en produits sanguins. La Société canadienne du sang a été créée pour l'ensemble du pays, hormis la province de Québec qui a créé Héma-Québec.
États-Unis |
Chine |
Dans les années 1990, dans la province du Henan, les autorités, et notamment Liu Quanxi, directeur de la Santé du Henan, ont été responsables de la transmission du virus à très grande échelle par transfusion sanguine. Les dons étant rémunérés, les donneurs (essentiellement des paysans pauvres) affluaient en masse, alors que les conditions sanitaires étaient précaires et qu'il n'y avait aucun suivi des produits. La contamination a même touché les donneurs, avec des partages de seringue, et du sang d'autres donneurs réinjecté après extraction du plasma. Cette épidémie a laissé la province exsangue, avec de nombreux orphelins ; on estime que certains villages, dits « villages sida », ont été touchés à 80 %. Ces pratiques n'ont été interdites qu'en 1998. L'affaire a été révélée par le docteur Gao Yaojie en 1996.
On suppose que les autorités locales ont eu l'appui du pouvoir central ; ainsi le docteur Gao Yaojie n'a-t-il pas pu se rendre à New York recevoir le prix Jonathan Mann à l'ONU en 2001. On peut également signaler l'enlèvement, le 24 août 2002, de Wan Yanhai, fondateur de l'association Aizhi Action Project, qui avait contribué à diffuser l'information sur ce scandale ; il fut libéré le 20 septembre. Ma Shiwen, un des responsables de la Santé du Henan, fut arrêté en août 2003 pour avoir révélé des secrets sur le scandale du sang contaminé. Entre 2002 et 2005, l'activiste Hu Jia, proche de Wan Yanhai, passe plusieurs mois par an dans les « villages du sida ». Encagoulé et frappé, Hu Jia a été enlevé pendant quarante-et-un jours par la police chinoise. Il fut mis au secret dans une chambre d'hôtel, maintenu en résidence surveillée pendant 214 jours en 2006 et pendant la majeure partie des sept premiers mois de 2007[29].
Les autorités ayant totalement abandonné à leur sort les personnes contaminées, des émeutes ont eu lieu. Certains ont même tenté de contaminer des habitants de la ville de Tianjin en les piquant avec des aiguilles infectées en signe de protestation.
Au total, la population de vingt-trois provinces (sur trente) serait concernée par les conséquences de ces pratiques, et notamment le Henan, l'Anhui, le Hubei et le Hebei, avec des centaines de milliers, voire, selon certains, plus d'un million de personnes contaminées.
Japon |
Notes et références |
Notes |
La publication le 5 juin 1981 par les Centers for Disease Control de Los Angeles (auteurs : Gottlieb et al.) d'un article intitulé « Pneumocystic Pneumonia » MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 1981, no 30, p. 250-2 est aussi donnée comme le début officiel de l'épidémie.
On disposait fin 1984 de tests longs, coûteux et peu sensibles, et en janvier 1985 de tests en cours d'évaluation en petit nombre, qui permettaient de tester les hémophiles nécessitant une transfusion de facteur VIII (environ 3 000 individus), mais il n'était pas encore possible de tester les 3,5 millions de dons annuels.
Il n'y a, à ce jour, pas de preuve d'un risque de surcontamination : dans le cas des transfusions, les personnes transfusées par du sang contaminé (sang complet, donc très majoritairement transfusion unique) ont toutes été contaminées par le VIH, et elles ont toutes développé le sida et sont mortes dans les années qui ont suivi ; des hémophiles transfusés régulièrement au Super VIII contaminé, seule la moitié a été contaminée, et une moitié des contaminés (donc un quart des hémophiles) a développé un sida mortel ; le mode de transmission (sang complet ou extrait) semble donc jouer un rôle bien plus important que la multiplicité de l'apport viral.
Toutefois, on peut considérer que le fait d'éviter une surcontamination procède d'un principe de précaution assez évident.
Des tests ont été pratiqués a posteriori sur des prélèvements menés sur des hémophiles avant 1984 ; ils ont révélé que de potentielles contaminations (« séroconversions ») ont eu lieu entre 1982 et 1983.
Références |
http://www.larousse.fr/archives/journaux_annee/2000/15/l_affaire_du_sang_contamine_trois_ministres_en_accusation.
Extrait de l'arrêt.
Cf. La découverte du virus du sida en 1983, sur le site web de l'Institut Pasteur.
« Infections opportunistes et sarcome de kaposi chez des patients jeunes, non immunodéprimés antérieurement », Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, no 37, 1982dans BEH, numéro spécial, novembre 1988, Le sida et l'infection par le V.I.H., articles publiés par le B.E.H. de juin 1982 à octobre 1988. Direction Générale de la Santé.
Casteret 1992, p. 73–74.
« Syndrome d'immunodépression acquise », Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire, no 22, 1983.
Aquilino Morelle 1996, p. 52.
Claude Got 1989, p. 41.
Bernard Derosier 1993, p. 61-67.
Sanitas et Limousin 1994.
Devedjian 1996, p. 38.
Bernard Derosier 1993, p. 71.
Casteret 1992, p. 82–83.
Casteret 1992, p. 92.
Fillion Emmanuelle, Que font les scandales : la médecine de l'hémophilie à l'épreuve du sang contaminé, http://www.cairn.info/revue-politix-2005-3-page-191.html.
Bernard Derosier 1993, p. 116-119.
Bernard Derosier 1993, p. 104-105.
Casteret 1992, p. 240.
P. Rouger, « Nouvelle organisation de la transfusion sanguine », Conférences d'actualisation 1999, p. 317-322. 1999 Elsevier, Paris, et SFAR.
Institut National de l’Audiovisuel- Ina.fr, « L'affaire du sang contaminé - Archives vidéo et radio Ina.fr », sur Ina.fr (consulté le 19 décembre 2018)
Mathieu Brugidou, « L'affaire du sang contaminé : la construction de l'événement dans Le Monde (1989-1992) », Mots, vol. 37, no 1, 1993, p. 29–47 (ISSN 0243-6450, DOI 10.3406/mots.1993.2140, lire en ligne, consulté le 19 décembre 2018)
Philippe Ponet, « Les logiques d’une consécration journalistique », Questions de communication, no 11, 1er juillet 2007, p. 91–110 (ISSN 1633-5961 et 2259-8901, DOI 10.4000/questionsdecommunication.7332, lire en ligne, consulté le 19 décembre 2018)
Philippe Froguel & Catherine Smadja, « Les dessous de l'affaire du sang contaminé », sur Le Monde diplomatique, 1er février 1999(consulté le 19 décembre 2018)
« Le procès du sang contaminé. Jugement clément de la Cour de justice pour les trois ministres. Sang contaminé: deux relaxes et une non-condamnation. Pas de poursuites contre Laurent Fabius et Georgina Dufoix, Edmond Hervé est condamné mais dispensé de peine. », sur Libération.fr, 10 mars 1999(consulté le 19 décembre 2018)
Fabrice Drouelle, « L'affaire du Sang contaminé : un crime de sang. », Affaires Sensibles : France Inter, 08/12/14
« Citations et proverbes ».
Cf. le site web de l'association.
« Sang contaminé : le choc des acquittements », RFI.
« Hu Jia et Zeng Jinyan : les enfants de Tiananmen », Le Monde.
Voir aussi |
Bibliographie |
Claude Got, Rapport sur le sida, Flammarion, 1989(ISBN 2-08-066332-1).
Éric Heilmann (préf. Françoise Héritier-Augé), Sida & Libertés, la régulation d'une épidémie dans un État de droit, Actes Sud, 1991(ISBN 2-86869-721-6).
[Casteret 1992] Anne-Marie Casteret, L'affaire du sang, Éditions la découverte enquêtes, 1992(ISBN 978-2-7071-2115-8).
Jean-Pierre Allain, Le sida des hémophiles, mon témoignage, Frison-Roche, 1993(ISBN 2-87671-139-7).
Bernard Derosier, Rapport de la commission d'enquête sur l'état des connaissances scientifiques et les actions menées à l'égard de la transmission du sida, UGE 10-18, coll. « Documents », 1993(ISBN 2-264-01950-6).
Michel Setbon, Pouvoirs contre sida, De la transfusion sanguine au dépistage : décisions et pratiques en France, Grande-Bretagne et Suède, Seuil, coll. « Sociologie », 1993(ISBN 2-02-019104-0).
[Sanitas et Limousin 1994] Jean Sanitas et Michel Limousin, Le sang et le sida : une enquête critique sur l'affaire du sang, L'Harmattan, 1994(ISBN 978-2-7384-3085-4, lire en ligne).
[Devedjian 1996] P. Devedjian, Le temps des juges, Flammarion, 1996.
Aquilino Morelle, La défaite de la santé publique, Flammarion, coll. « Forum », 1996(ISBN 2-08-211563-1).
[Zuqiang 2003] Lin Zuqiang, « Sida, la Chine au bord de la catastrophe », Libération, 19 février 2003(lire en ligne).- Draï Raphaël. Catastrophe et responsabilité : à propos de l'affaire dite du sang contaminé. In: Quaderni, no 29, Printemps 1996. Sciences de la Vie et médias. pp. 129-143. ( https://doi.org/10.3406/quad.1996.1164)
Filmographie |
Les liens du sang, (documentaire), France 2, 5 avril 1990.
Commissaire Moulin, police judiciaire, épisode Qu'un sang impur (série télévisée) 1993, TF1.
Articles connexes |
- Jean-Pierre Allain
- Michel Garretta
- Empoisonnement en France
- Vague de contaminations par le VIH d'Elista
Liens externes |
Les seigneurs du sang, article d'Ursula Gauthier sur le scandale du sang contaminé en Chine.
Le sang contaminé.
Dossier sur l'affaire du sang contaminé sur le site survivreausida.net, l'émission de radio des séropositifs.
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